posté le 14.03.21
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review : Vu en mars 2021, par Claire Astier
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Vu en mars 2021, par Claire Astier

Où regarder et que croire, où chercher ? Les expositions, initiatives et tous ceux et celles qui se réunissent pour discuter en passant par les portes dérobées dévoilent un état de stase, de sidération.

Emma Pavoni et Myriam Urvoaz, *Résurgence*
Emma Pavoni et Myriam Urvoaz, *Résurgence*

À FUITE, un atelier partagé par six artistes au 72 rue des Bons Enfants, Emma Pavoni a invité Myriam Urvoaz pour une semaine de résidence qui a donné lieu à une exposition les 13 et 14 février 1 .
À la veille de l’évènement, les deux amies finissent un accrochage précaire. Les œuvres sont au bord de la chute, les mouvements de l’air sur notre passage, les font tressaillir, choir. Rien ne reste debout. Résilles, résidus et baguettes métalliques, tiennent ensemble grâce à de minces coudes de pailles, celles avec lesquelles on boit lorsqu’on a les deux bras dans le plâtre. Sur la cimaise, un panier métallique laisse entrevoir quelques sacs plastiques chiffonnés, colorés, tels les fonds de frigos et restes de trottoirs qui témoignent du glanage sous couvre-feu auquel se sont livrées les artistes. Pavoni et Urvoaz justement, regardent avec suspicion le plomb qui fond depuis deux jours dans une vieille cocotte-minute. Le métal coulé, deviendra une figure-plan aux lignes torturées, tentant encore de nous faire croire avec malice au minimalisme sérieux de la sculpture 2 . Les deux femmes savourent ce retour de conciliabules et de grands projets, annoncent la poursuite des évènements du réseau PAC OFF, une organisation autogérée basée sur l’entraide et la mutualisation entre ateliers indépendants. « Le milieu de l’art, on savait qu’il ne fonctionnait pas, on espère que ce que nous traversons va remettre tous les compteurs à zéro » précisent-elles.

À La Compagnie, Fabrizio Scarpignato, artiste en service civique, en fait un constat similaire : « Le confinement n’a pas changé grand chose finalement, en ce moment on a du temps et on travaille sans se préoccuper de commandes ou de rentrer dans les cases d’un appel à projet. » Le report de l’une de ses expositions, lui a donné la possibilité de prendre du recul et de poursuivre la création engagée, enrichie de ce fameux temps gagné. « C’est dur pour beaucoup, mais pour ceux qui avaient un petit boulot – et ils sont évidemment nombreux – cela revient à avoir un petit chômage et du temps pour travailler. Presque mieux que d’habitude. »
Et c’est vrai qu’à Marseille couvre-feu, pas couvre-feu, rien ne change vraiment. Peut-être cela vient-il de là ? Le fait que les milieux des arts visuels, malgré les fermetures, regardent ailleurs et substituent à cette réalité déroutante, des images-écrans ?

Léa Laforest, *tu peux partir si tu le veux*
Léa Laforest, *tu peux partir si tu le veux*

À Coco Velten où La Compagnie expose l’un des volets de La Relève III – Habiter 3 , les artistes semblent se tourner avec plus ou moins de degrés vers les utopies de la fin du siècle. Pauline Ghersi présente une fable4 : deux vidéos illustrant les réactions divergentes de personnages absurdes et triviaux incarnant l’Allemagne de l’Est et celle de l’Ouest, tandis que les photos de Juliette Larochette s’abiment dans la contemplation des lumières pales du Grand Soir russe sur les silhouettes des ensembles d’habitation . Les restes du communisme s’incrustent-ils toujours dans les architectures du XXIème siècle ou bien dans notre regard néo-soviétique, qui y cherche quelques vérités vintages des grands récits ?
En Allemagne, la restriction des libertés que le Gouvernement a justifiée par le Covid, a réveillé des angoisses chez ceux et celles qui y vivaient reclus il y a quarante ans.

Pendant ce temps sur le toit de l’îlot Velten, Morgan Vallé 5 dans un geste tautologique et un enthousiasme sans limite, propose une cabane faite de rebuts, lieu hétérotopique dont le but est de transformer temporairement un contexte donné, afin d’en faire « un espace de reconstruction poétique et de résistance » où l’on puisse « partager, rencontrer et imaginer d’autres lendemains possibles. » La chanson est de lui mais d’autres ont eu la même idée au moment de rédiger leurs dossiers de subventions.
On se demande : résistance à quoi sur ce toit-là ? Mini-zad et poil aux palettes.

La Relève III se poursuit à Art-Gade où les artistes se mobilisent pour faire vivre leur exposition, utilisent leurs pouvoirs de cooptation pour l’augmenter de nouveaux noms et résistent à l’entre-soi confiné.

Le 13 février, Sarah Netter et Silina Syan ont invité Valentine Gardiennet et Hayoung Kim 6 pour une présentation de leurs projets éditoriaux ainsi que de nouvelles pièces conçues en duo, à partir des collages muraux de l’une et des punchlines de l’autre. Fraicheur.

Léa Laforest cristallise et politise la réalité du vase clos. Sa cafetière-filtre retraite les liquides domestiques, qui y apparaissent comme stérilisés, voire médicalisés, tandis qu’un puzzle « cascade tropicale » de 1000 pièces devient l’unique perspective de fuite hors de cet espace oppressant et sous camisole antiseptique 7 . La vie sans crasse sous vide. Des bas-reliefs engloutis par les cimaises, révèlent des scènes familières, qui semblent désormais relever d’une autre réalité, opaque et lointaine.

C’est par une mécanique inverse que les œuvres de Gillian Brett frappent, à la Galerie de la Scep. L’artiste est puissante, son régime de représentations s’installe et s’impose au cœur de nos économies, nos flux d’affects, de textes, de frics. Les œuvres supposent une matière précieuse, celle des composants électroniques et des métaux des écrans d’ordinateur usagés, que Brett assemble en aplats lumineux et scintillants. Flaques noires ou miroirs, les reflets qu’elles nous tendent sont tout à la fois désirables et dangereusement tragiques de part leur matérialité même, celle des casses et des dépotoirs de bords du monde, celle d’une humanité narcissique contemplant sa fin 8 . Lapins sidérés, égarés par les lueurs des images de notre futur 9 . Antoine Nessi lui répond par un monolithe noir 10 , empreinte d’un distributeur de billets. Sans plus de touches ni de fentes, la sculpture anéantit toute compulsion libidineuse, tout retrait ou avalage.

Gillian Brett, *Phusis, Hubris, Debris #Baotou*
Gillian Brett, *Phusis, Hubris, Debris #Baotou*

Que reste-t-il de nous, consommateurs impuissants du capitalisme tardif, dans ce face-à-face muet ? Compteurs à zéro.

Au Château de Servières, le geste inaugural du visiteur consiste à traverser l’installation d’Antoine Verdelle, ce faisant de briser sous ses pas les plaques d’argile qui recouvrent le sol, afin de nous livrer à l’expérience de ceux et celles qui doivent « casser pour rentrer ». L’exposition s’offre en un dédale de pièces, renouvelant la sensation oppressée et confinée de notre nouvelle domesticité.
Marina Smorodinova et Camille Sart racontent justement ces espaces domestiques qui peuvent devenir sources de désarroi ou de tyrannie dans un contexte autoritaire, tandis que Maeline Li nous livre les pensées des jeunes Groenlandais•es face à l’Empire Danois, leurs idées et leurs plans pour le futur.

À la résistance culturelle univoque, se substitue une réflexion post-coloniale nuancée, matinée d’espoirs mais aussi d’une conscience exacerbée du règne libéral : la survie passera par une stratégie socio-économique, nous disent en substance les textes qui défilent sur des enseignes lumineuses de discounts. Quentin Dupuy garde la tête froide et sème les lieux de pissenlits, saladelles et autres plantes sauvages qui s’accrochent au pied des cimaises, comme ils le font dans les délaissés urbains et autres dents creuses de la ville 11 . Fait de chewing-gums « pastillés », l’herbier évoque l’arrêt et une forme de mélancolie, l’attente qui défile à travers les vitres du métro, celle qui nous trouve à tromper l’ennui. La justesse du geste donne forme à une idée du rien, à la mesure de cette contenance – Ansilde Chanteau a couvert de cellophane des rondins de bois afin que les xylophages qui les peuplent, ne s’aventurent pas dans la galerie 12 – qui semble habiter nos milieux et confirme que le futur sera dehors tandis qu’on pourrait abandonner les white cubes aux herbes folles, pour un temps.

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